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  TIMBI MADINA 

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Histoire et géographie

 
 

 
 
Méditons un peu sur cette prophétie d'un marabout peul à un colon blanc au 19eme siecle 
 
 
Le marabout lui dit :" Les Français règneront 100 ans dans le pays, comme les Peuls y ont régné 100 ans, les Dialonké 100 ans, etc. Mais alors viendra le Mahdi qui fera payer l'impôt aux blancs, puis le Démon qui piquera tout le monde avec sa lance, puis l'Ange armé de la trompette qui fera comparaitre le monde entier devant Dieu!
 
 
 
 
 
 
Un bref aperçu historique. 
 
Le roi du Mali Soundiata Keïta conquiert le Fouta-Djalon au XIIIe siècle. Au XVIe siècle, les Peuls du Sénégal apparaissent dans la région. 
 
En 1725, le savant musulman Karamoko Alfa Barry, à la tête des Peul du Fouta-Djalon, entreprend de convertir ou de chasser les païens. Les Soussous sont repoussés vers la côte de la future Guinée, les autres réduits en servage. ce fût la bataille de talansan.par la suite, Karamoko Alfa fonde un Etat théocratique État féodal, il consolide l'union de tous les peulhs et la stabilité de l'Etat en s'appuyant à la fois sur les traditions peulhs mais aussi sur les principes de l'Islam. À sa mort en 1751, le savant Ibrahima Sori Maoudo est élu à la tête des Peuls. Il repousse une forte offensive païenne des Dialonkés et des Soulima conduite par Kondé Birama, puis s’empare du Fouta-Djalon. Sa disparition en 1784 ouvre une période d'anarchie. L’État Peul du Fouta-Djalon devient une confédération groupant neuf Diwé ou (provinces). Le titre d’almani est dévolu alternativement aux descendants d’ Ibrahima Sori (Soria) et à ceux de Karamoko Alfa (Alfaya). En 1804, le pouvoir est exercé toujours alternativement, mais tous les deux ans. L'organisation de l'État se révéla 
particulièrement adéquate aux temps et à la situation en constituant, pour l'époque, un remarquable exemple de décentralisation à base de laquelle se trouvaient les Conseils de village qui élisaient leurs représentants avec consultation directe ; ceux derniers faisaient partie du grand conseil des sages qui assistait l'Almamy dans la gestion de l'ensemble du territoire. 
 
dignitaires peulhs 19siècle. 
 
 
A la fin du XVIIIe siècle, la capitale religieuse de l’État théocratique du Fouta-Djalon est Fougoumba, où est intronisé l’Almamy (de imam), qui gouverne dans la capitale politique, Timbo, assisté du Conseil des Anciens. L’élément peul domine dans un État multiethnique. La société est fortement hiérarchisée et inégalitaire, le clivage fondamental se situant entre musulmans et non-musulmans. Au sommet, se trouve l’aristocratie militaire et la classe maraboutique (lasli), puis viennent les hommes libres, puis à la base une clientèle de dépendants, serviteurs et esclaves. Les derniers sont installés dans des villages de culture, exploités au profit de l’aristocratie peul. La prospérité économique et une relative stabilité politique favoriseront la cohabitation. Le brassage des populations, l’adhésion à l’islam et aux valeurs peul favoriseront l’intégration qui aboutira à une homogénéisation ethnique. 
 
Au cours du XIXe siècle, les Peuls du Fouta-Djalon mèneront des opérations de résistance pour se protéger contre les attaques venant des régions voisines. 
 
 
Profitant de la division sur la succession au trone, les envahisseurs sous le commandement d'Alfred Dodds, occupent la capitale Timbo et le dernier almamy du Fouta indépendant Almami Bokar Biro est vaincu à la bataille de Porédaka en 1896. Les chefs du Fouta qui avaient assisté les Français, seront soit assassinés (Alfa Ibrahima Sori Yilili) soit envoyés en exil Alpha Yaya. 
 
En 1897, les Français installent un almami au Fouta-Djalon avant de démembrer la République Théocratique. Le Foutah est intégré dans sa majorité à la nouvelle colonie des Rivières du Sud qui deviendra la Guinée Française. Une partie est occupée par la Grande-Bretagne en Sierra Léone, et les Portugais s'empareront du Gaabou en Guinée Bissao. La France impose une dure occupataion militaire et instaure un esclavage appelé Travaux Forcés. 
 
Le Fouta Jallon fut un centre de culture théologique peul. Les grands poètes-théologues sont Thierno Samba Mombéya, Thierno Saadou Dalen, Thierno Aliou Bhoubha Ndian et Thierno Diawo Pellel. Ils sont considérés comme illustres personnalités issus de la noblesse du Fouta et prêchant le bon exemple (le Peul savant et pieux, fervent dans la religion). 
 
 
femme du fouta 19 siècle 
 
 
Le Timbi fut une des 9 provinces (diwés) du royaume du Fouta Djallon. A l'image des autres diwés, Timbi fut le théâtre de haut fait d'armes, de légendes, de trahison.... 
Dans ce texte nous nous efforçons de vous presenter quelques anecdotes qui en aucun cas ne constituent un résumé de l'histoire ô combien riche de Timbi et du Fouta Djallon en général. 
 
Dans le diwal de Timbi, naquît vers 1856, un parti des frères musulmans sous la direction de Thierno Iliassa de Ninguélande (a suivre....) 
 
La région de Pita qui forme avec la résidence de Télimélé le cercle de Pita, comprend sept provinces foula:  
o Timbi-Tunni  
o Timbi-Medina  
o Maci  
o Bantinhel  
o Bomboli  
o Buruwal-Tappe  
o Sokili-Foula  
Ces provinces sont peuplés par des représentants de toutes les tribus fulbhe, mais surtout par les tribus Diallubhe et Uururbhe. Elle comprend en outre un district soussou: Sokili-Soussou.  
Très attachée à l'Islam, elle est inféodée à peu près complètement au Tidianisme Omari. Elle a vu naître et fleurir de très importantes personnalités maraboutiques: Tierno Dayeejo, et Tierno Maroufou, au siècle dernier: Tierno Moawiatou Maci et Alfa Ibrahima en ces temps-ci, qui ont été des professeurs renommés, entre les mains desquels plusieurs milliers de Karamoko ont passé. Ils ont été en outre des directeurs de consciences et des pôles d'Islam très écoutés. Comme ces grands marabouts se rattachaient au grand pontife toucouleur de Dinguiraye, soit directement soit par l'intermédiaire de ses disciples immédiats, ils ont distribué son wird tidiania dans toute la région.  
En dehors du rayonnement de ces marabouts en vedette et de leurs affiliés, on ne trouve plus guère que de la poussière de Karamoko, dépendant des Cheikhs Labé. 
Il reste à signaler l'influence que le Ouali de Goumba voisin avait acquise, dans ce dernier quart de siècle, parmi les populations islamisées du Timbi et du Maci. Un certain nombre d'individus avait embrassé son Chadelisme, et les derniers Houbbou de la région étaient allés se réfugier à la misiide. Les événements de 1911 ont ramené ces transfuges au tidianisme. Il y a pourtant encore quelques Sadialiya irréductibles, petites communautés que la persécution a trouvées fidèles, qui se rattachent tant bien que mal à la Zaouïa de Tierno Mamadou Chérif Diawia, ou aux membres épars de la Zaouïa de Ndama, victime elle-même de son exubérance mystique et des craintes d'une administration qui entend fixer les règles du soufisme musulman. 
Les centres islamiques les plus réputés soit par la ferveur et l'abondance des fidèles, soit par le nombre et l'excellence des écoles coraniques sont:  
o Maci  
o Péti  
o Hakkunde Miti  
o Kokoulo  
o les deux Bantinhel et surtout Bantinhel-Tokosere  
o Bomboli  
o Buruwal Tappe  
o Timbi-Tunni  
o Diongassi  
o Médina  
o Médina Tokosere  
o Laba 
B. Tierno Moawiatou (Pita). — Tierno Moawiatou, fils de Karamoko Mamadou Saliou, de la famille peule des Surgayanke (tribu Uururbhe), est né vers 1832, dans le Maci, à la misiide même, Maci. Il a fait ses premières études auprès de son père, qui jouissait de la réputation d'un marabout lettré et qui, ayant traduit le Coran en poul-poule [Pular], l'enseignait aussi à ses élèves, conjointement avec le texte arabe. 
Le jeune Moawiatou commença aussi la théologie, à l'école de son père, dans les ouvrages de Sanoussi et de Maqaari. Après quoi, il s'en alla compléter sou instruction supérieure auprès des docteurs en renom du Fouta: Karamoko Bakel, marabout sarakollé ambulant; Tierno Amadou Dondé, dans le Labé; Tierno Mostafa Kolen, à Sombili; Karamoko HérIko, à Timbo. 
C'est par ce dernier, Tierno Hamidou de Hériko (Timbo), qu'il se fit initier à la Voie tidiania et, quelque temps après, confirmer dans les pouvoirs de moqaddem consécrateur. 
Revenu dans le Maci, il y ouvrit une école coranique, qui fut bientôt très florissante, et ne tarda pas à y annexer une école supérieure. Il n'est plus guère sorti depuis cette date; on signale seulement un voyage en Guinée portugaise, ces dernières années, à la recherche de son fils aîné, Tierno Saliou, qui s'y était installé et n'en voulait plus revenir. 
Ce professorat interrompu de soixante ans lui donne un aspect tout particulier; il s'étend abondamment en explications sur les moindres propositions qu'il avance; il émaille sa conversation de citations, de versets et de fables; il l'égaye même de petits chants arabes, ce qui donne aux entretiens qu'on a avec lui une allure tout à fait réjouissante. Il ne faudrait pas croire pour si peu qu'il soit ridicule. Ses disciples sont en adoration devant ses faits et gestes; et au surplus, ce sont là des libertés qu'autorise son grand âge, qu'explique sa longue vie de pédagogue et qu'on souhaiterait rencontrer plus souvent chez ses interlocuteurs foula, toujours si méfiants et si fermés. 
Chaikou Moawiatou possède une bonne instruction arabe et s'exprime avec assez de facilité dans la langue littéraire. Sa bibliothèque est assez bien garnie; elle ne présente d'ailleurs que les ouvrages classiques du droit, de la théorie et de la littérature arabes. 
Il connaît fort bien les principaux Cheikhs du Sénégal et de la Mauritanie, Sidïa, Saad Bouh, Hadj Malik, Amadou Bamba, reçoit leurs envoyés et entretient à l'occasion, avec eux, une petite correspondance. 
Son grand âge ne lui permet plus de professer aujourd'hui d'une façon régulière. Il est suppléé par quelques uns de ses nombreux fils: Alfa Salihou, né vers 1860; Diakariaou, né vers 1885; Boussouriou, né vers 1878; Badamassiou, né vers 1875; Souaibou, né vers 1875; Moktarou, né vers 1877; Modi Dian, né vers 1880; Billo, né vers 1882; Modi Moulay, né vers 1885; Gandou, né vers 1885; Mamadou Al-Khali et Souragata, nés vers 1890, etc. 
Le plus intéressant paraît être l'aîné, Alfa Salihou, intelligent, instruit, et qui cherche dans le commerce un supplément de ressources. Il a été quelque temps, jadis, par suite des bonnes relations de son père avec l'almamy Ahmadou, suivant d'Alfa Oumarou, fils de l'Almamy et aujourd'hui chef de la province de Timbo. 
Lui-même fait à l'occasion le mufti et le docteur de la loi. Il donne avec bonne grâce les consultations juridiques ou théologiques que viennent lui demander les Karamoko du voisinage. 
Sa fortune passe pour être considérable. 
Tierno Moawiatou parait animé de sentiments loyalistes vis-à-vis des Français. On lui a reproché, comme d'ailleurs à tous les marabouts foula, d'avoir entretenu d'excellentes relations avec le Ouali de Goumba. Il ne pouvait en être autrement, et le Ouali a été pour nous-mêmes notre meilleur ami et auxiliaire, jusqu'au revirement subit de notre politique. 
En tout cas, lors des opérations de la colonne de police dans la Fouta, en avril-mai 1911, Tierno Moawiatou fut un des rares Karamoko à ne pas prendre la fuite. Il reçut à la misiide de Maci, avec sa courtoisie peule, administrateurs et officiers, ne témoigna nullement de son effroi, examina avec intérêt les canons et obus, assista aux tirs, se fit donner des explications. 
Dans les palabres qui suivirent, il parla au nom des populations, excusa leurs craintes, reconnut que l'autorité des Français s'exerçant régulièrement, ne pouvait être mise en doute et qu'au surplus Allah avait recommandé l'obéissance aux maîtres du moment. 
Ces paroles, prononcées devant une grande foule, ainsi que l'attitude tout à fait correcte dont le marabout fit montre par la suite, contribuèrent puissamment à l'apaisement. 
C'est donc avec peine que l'on voit, quelque temps après, ce vieillard de quatre-vingts ans, condamné à 50 francs d'amende pour ne pas avoir répondu à la convocation du juge d'instruction à Conakry. Il y avait certainement d'autres moyens de recueillir sa déposition, si tant que cette déposition fût susceptible d'apporter quelque lumière dans l'affaire de Goumba. En tout cas, la pénalité était de trop. Ce ne sont pas de telles sanctions, piqûres d'épingle inutiles, qu'on prend contre des marabouts de l'envergure du Karamoko de Maci. 
Chaikou Moawiatou jouit d'une influence considérable dans le Maci, où on le considère comme un ouali, un prophète, un homme de Dieu. C'est le saint par excellence de la province. On le nomme même généralement « Tierno Maci ». Il a été un grand éducateur populaire. Il a formé coraniquement et a affilié à sa Voie tidiania plus de deux cents Karamoko, répandus à l'heure actuelle, surtout dans les régions de Pita et de Télimélé, mais aussi dans les cercles voisins de Mamou, Timbo-Ditin et Koumbia. Ils y donnent l'instruction catéchistique et les rudiments d'Islam à 1.500 enfants environ. C'est dire que tous les indigènes du Fouta occidental, Foula et Diallonké, ont pour lui une grande vénération. 
Il importe de citer les principaux de ces disciples qui ont souvent acquis eux-mêmes par leur enseignement ou leurs vertus un prestige local et dont plusieurs sont des personnages d'importance, chefs religieux de groupements tidiania.  
Dans le cercle de Pita, Province du Maci même:  
o A la misiide de Maci, foulasoo de Hoore Boowal, Tierno Mamadou, né vers 1858, qui, outre des fidèles locaux, compte quelques talibés à Sarouja, dans la province de Kébali (Ditin).  
o A Ndantari Mamadou Alfa, né vers 1855.  
o A Tiéhel, Mamadou Saliou, né vers 1872.  
o A Hakkunde Mitti Kokoulo, Yéro Bailo, né vers 1870.  
o A Ley Tangan, Alfa Mamadou, né vers 1867.  
o A Maci, Alfa Eliassa, né vers 1870, assesseur du Tribunal de province de Timbi-Madina; Modi Bhoye, né vers 1865, qui a traduit le Coran en poul-poullé [Pular]; Alfa-Bakar, né vers 1870, et Modi Mamadou, né vers 1775, tous deux assesseurs du Tribunal de province et Amadou Tari, né vers 1873.  
o A Donhol, Attaoullahi, né vers 1875, et son maître Alfa Bakar, né vers 1865.  
o A Tyewloy enfin, Tierno Gando, né vers 1850, et qui jouit dans toute la province d'une grande vénération.  
qqq. Dans la province de Buruwal-Tappe:  
o A Ley Guilé, Alfa Abdoulaye, né vers 1845.  
o A Buruwal Allaybhe, Alfa Oumarou, né vers 1868, et son maître Alfa Boubakar, né vers 1860; Mamadou Sellou, né vers 1888, et son maître Bakar Bolaro, né vers 1865.  
o A Buruwal-Tappe, Abdoulaye Radiagui, né vers 1865.  
o A Bendougou, Karamoko Ibrahima, né vers 1860.  
rrr. Dans la province de Timbi-Médina:  
o A Madina-Tokosere, Amadou Bobo, né vers 1865, et son maître Tierno Ibrahima Bemba, né vers 1855, de la famille Dialloyanke (Yirlaabhe), celui-ci personnage important, qui vient de mourir en 1912.  
sss. Dans la province de Bantinhel:  
o A Handé, Mamadou Malal, né vers 1868, et son disciple Amadou Diogo, né vers 1888.  
o A Buruwal-Hollaande, Oumarou, né vers 1855.  
o A Donhol, Sadikou, né vers 1865.  
ttt. Dans la province de Bomboli:  
o A Gongore, Alfa Amadou Tidiani, né vers 1850.  
o A Bomboli, Ahmadou Béla, né vers 1875.  
uuu. Dans la province de Timbi-Tunni:  
o A la misiide même de Timbi-Tunni, Alfa Mamadou Diongassi, né vers 1875, marabout réputé appartenant à la famille Njobboyanke (Yirlabhe), assesseur du Tribunal de province, et ses deux disciples Tierno Mahadiou, président du Tribunal, et Tierno Souleyman, assesseur au même tribunal.  
o A Dalan, Karamoko Ibrahima, né vers 1855.  
Dans la région de Télimélé, province de Touroukoun:  
o A Boukarella, Amadou Moktar, né vers 1860, à Singuéléma; d'abord initié au Qaderisme par son père Alfa Yaqouba, il est passé au Tidianisme de Tierno Moawiatou. C'est à la suite des événements de Goumba, où il fut mêlé assez activement, qu'il a opéré cette conversion. Jadis fervent des diarooje, il les a suspendues ces dernières années et cherche à les rétablir en douceur. Amadou Moktar jouit d'une grande influence dans le Kebou.  
o Dans le cercle de Koumbia, on rencontre un certain nombre de petits maîtres d'école ou individualités sans importance se réclamant de la voie de Moawiatou. 
o Dans la résidence de Ditin (cercle de Timbo):  
o A Kankalabé: Tierno Bakar, lettré des plus distingués et maître d'une école florissante de 76 élèves.  
o Dans le Boodye: Karamoko Abdourahman Boodye, maître d'école.  
o A Diangolo, Salli Abdoul, muezzin de la mosquée du village, et maître d'école.  
o A Ndantari-Hodho (Kala), Tierno Amadou, né vers 1866, qui a fait ses premières études auprès de Tierno Laminou de Bantinhel, puis les a complétées auprès du Tierno Maci, qui lui a donné le wird. Depuis quelque temps, il assure, sur la demande des notables de Kala, le service cultuel de la grande mosquée de Kala.  
C. Alfa Ibrahima (Pita). — Alfa Ibrahima, dit Modi Sori, Karamoko, né vers 1845 à Kalilamban, dans la misiide de Donghol-Ubbere, province de Timbi-Tunni (Tribu Uururbhe). Il a fait ses premières études auprès de son père Mamadou Sanoussi, et est allé les compléter par la suite auprès des docteurs en renom du Fouta, notamment auprès de Tierno Ouri, de Popodara (Labé). 
Rentré chez lui, il ouvrit une école, et continua à s'instruire, tout en correspondant avec les principaux Karamoko de la région. Son école est toujours florissante: il une trentaine d'élèves, dont vingt apprennent le Coran sous la direction d'un de ses talibés, et les autres étudient les rudiments du droit et de la théologie islamique sous sa propre direction. Il est fort instruit de tout ce qui touche aux sciences islamiques de l'instruction arabe, et en possède bien la langue. 
C'est un homme riche et très considéré, certainement le marabout le plus en vue de la province de Timbi-Tunni, et après Tierno Maci, le Karamoko le plus respecté de la région de Pita. Chef de la misiide de Donhol-Ubbere, et cousin germain de Tierno Oumar Silla, chef de province, il entretient les meilleures relations avec tous les chefs du voisinage. Il venait jadis faire régulièrement sa cour, chaque année, aux Almamys du Fouta et ceux-ci profitaient de son séjour à Timbo pour lui faire trancher des cas épineux [de justice]. Depuis plusieurs années, il n'est plus sorti de sa province. 
L'attitude d'Alfa Ibrahima vis-à-vis des Français a toujours été des plus correctes. Il est noté tranquille, obéissant et plein de bonne volonté. Sa conduite à la suite des événements de Goumba a été digne de louanges. Il s'est employé de lui-même à ramener le calme dans le pays, et a été, peu après, employé avec succès par l'administration dans sa tâche d'apaisement. 
Parmi les nombreux talibés que le Karamoko de Donhol-Ubbere compte dans la région de Pita, il faut citer les suivants, qui sont des chefs de petits groupements religieux, et pour la plupart maîtres d'écoles:  
Dans la province de Timbi-Tunni:  
à Pita, Tierno Diaïla, né vers 1895, Karamoko Doulla (surnom équivalent de Abdoulaye) né vers 1850, et Karamoko Bhoye, né vers 1845.  
A Diongassi, Karamoko Fodé, né vers 1860, Karamoko Mamadou Lamine  
A Timbi-Tunni même, Karamoko Ousmana, né vers 1860. A Dionberé, Alfa Ibrahima Diabere Yare, né vers 1875, et Mamadou Bakar Siadi, né vers 1860.  
Dans le Maci à Pété, Karamoko Souleymana, né vers 1875.  
Dans la province de Bantinhel: à Bantinhel-Mawnde, Tierno Ismaila, né vers 1870; son disciple Mamadou Billo, né vers 1872; Tierno Amadou Sana, né vers 1850 et Alibou, né vers 1855.  
Dans la région de Télimélé, province de Mamou: à Yambérin, Karamoko Mamadou, né vers 1872, un des marabouts les plus influents de la province. Originaire de Timbi-Tunni, il a quitté son pays pour venir s'installer dans le Monoma. Il avait séjourné plusieurs années dans le Koyin, suivant les leçons de son maître Abdoulaye Bademba, qu'il accompagna par la suite à Conakry. A Hollaande, Karamoko Amadou Tiawlo, né vers 1864 et son disciple Baba Amadou Samsouna, né vers 1883, tous maîtres d'écoles.  
Alfa Ibrahima Karamoko se rattache par son wird personnel à la chaîne des Tidiania algériens. Il a, en effet, été affilié à la voie par un « Chérif » du Touat, de passage dans les Timbi, il y a une cinquantaine d'années, Amadou Moktarou, disciple de Hamidou Ibnou Lamin. Ce Hamidou comptait parmi les Télamides du Cheikh Mokhtar, l'Alaoui, qui par Ali Harazin, se rattachait au fondateur de l'ordre. 
Par ses pouvoirs de Cheikh consécrateur (Moqaddem) il appartient au contraire à la chaîne d'Alfa Oumarou Rafiou, de Labé, et par ce marabout à Al-Hadj Omar lui-même.  
D. Les talibés de Tierno Dayeejo (Pita). — Tierno Dayeejo, de Timbi-Tunni (Pita), fut un des disciples les plus réputés d'Al-Hadj Omar dans le Fouta. Il était né vers 1850 et appartenait à la tribu Dayeebhe. Après avoir passé quelque temps à Dinguiraye, où il reçut le wird et les pouvoirs de moqaddem, il revint dans les Timbi, y ouvrit une école, et affilia un grand nombre de Foula à la voie omarienne. Il fut réputé le plus grand et le plus savant marabout de son temps. Il est mort vers 1880. Il a laissé plusieurs enfants qui n'ont hérité ni de sa science, ni de son prestige. 
Parmi les disciples qu'il a formés, plusieurs sont devenus à leur tour des Cheikhs de renom et ont fait école. Il faut citer:  
a. Karamoko Ibrahima Bemba, de la famille Diakanké, à Madina-Tokosere (Timbi-Madina) mort en 1912, laissant dans la région des talibés dont les plus connus sont Tierno Ismaila, Karamoko Alfa, né vers 1858, Amadou Bobo, né vers 1865.  
b. Tierno Mahadiou, de Timbi-Tunni, dont les principaux talibés maîtres d'écoles, sont Alfa Oumarou, né vers 1855, à Ninkan et Mamadou Alfa, né vers 1870, à Buruure (Timbi-Madina). Tierno Mahadiou de la famille Seriyanke (Dayeebhe), né vers 1840 à Parawi (Timbo), et qui vient de mourir à Malouko (Timbo). Instruit, âgé, pourvu d'une grande aisance, il était très respecté, dans la région de Timbo. Il dirigeait une école assez fréquentée; il a laissé plusieurs fils, dont son fils aîné, Modi Amadou, né vers 1885, maître d'école, et Tierno Ahmadou, de Harounaya (Kaba), d'origine toucouleure.  
c. Dans le Labé, Tierno Mamadou, de la famille Njobboyanke (Yirlabhe), à Labé-Dheppere (Labé), maître d'école réputé qui compte une centaine de disciples, tous plus ou moins Karamoko dans le Labé, le Pita et le Timbo. Lui-même est mort vers 1900. Les principaux de ses disciples sont:  
 Alfa Abdoulaye Buruwal, né vers 1860, à Buruwal-Baya (Timbo) de la famille Sediyanke, très lettré, chef de son village, ancien assesseur du tribunal de province de Timbo, aujourd'hui assesseur du Tribunal de cercle. Il a fait ses études successivement auprès de son père Modi Abdoul Qadiri, puis chez Tierno Ibrahima fils de Karamoko Ouri et disciple de Tierno Mamadou, puis chez Karamoko Dalen.  
 Tierno Abdou Rahimi de Koula-Mawnde (Labé), et Tierno Hadi, de Taïbata (Tougué); Tierno Lamin, né 1860, imam de la mosquée de Madina-Tokosere (Pita), Alfa Amadou Bouka, Tierno Bhoye, et Tierno Souleyman Laba (Pita); Tierno Ibrahima et son fils, Alfa Oumarou, né vers 1860, Mamadi Yéro, né vers 1876, et Tierno Ibrahima Hindi, né vers 1865, de Bantinhel (Pita), Modi Paté, né vers 1845 et Tierno Amadou, né vers 1850, à Bomboli (cercle de Pita).  
d. Province de Hériko, au village de Komadantan Tierno Mamadou Aliou, né vers 1858, de la famille Yirlaabhe. Il possède des talibés dans toute la province, et notamment à la misiide Hériko, à Mangakouloum, au foulasoo Dogué, au foulasoo Kouradante, au foulasso Donhel, et à Ley Ndantaari. Désireux de prendre la place du chef de province, il suscita contre lui des plaintes injustifiées, qui lui valurent une condamnation à un mois d'emprisonnement.  
e. Province de la Kassa-Saala, à Diari, Tierno Ibrahima, né vers 1850, de la famille des Ngeriyanke (Yirlabhe), imam de la mosquée de Diari. Il dirige une école coranique florissante, et compte de nombreux talibés dans la province, où on le considère comme un éducateur de choix et comme un saint marabout. Ses principaux disciples sont à Diari même, à Gadha-Diase, à Gete, à Hollaande et à Hoore-Tyangii.  
E. Tierno Maroufou (Pita).—Tierno Maroufou était un Foula que l'éclat des succès guerriers et le prestige religieux d'Al-Hadj Omar attirèrent à Dinguiraye vers 1850. Il y reçut un complément d'instruction islamique et le wird tidiani. 
Rentré dans le Timbi-Médina, il y professa de longues années, et mourut vers 1880. 
Son fils, Alfa Oumarou, installé à Niali (Timbi-Madina) le remplaça; il est mort, il y a quelques années, laissant un petit nombre de talibés. Les deux principaux groupements sont  
a. celui de Mali, dirigé par le Karamoko Mamadou Bobo, né vers 1870, dont l'école coranique est très fréquentée;  
b. Celui de Hoore-Wendu (région de Télimélé), dont le chef est Mamadou Mango, né vers 1867, maître d'école. Sur la foi des accusations des chefs Soussou de Kébou, on a reproché à ce Karamoko une attitude anti-française, lors des événements de Goumba. Sa conduite est, en tout cas irréprochable depuis cette date. (A SUIVRE) 
 
 
 
 
 
Bref aperçu géographique et climatique. 
 
 
« Fouta » (ou foutah) signifie «montagne » : nous sommes bien ici au cœur d’un des massifs montagneux les plus élevés d’Afrique de l’Ouest, s’étageant de 500 à 1500 m d’altitude, composé de grandes falaises, de bas-fonds et vallées encaissées et de vastes plateaux. 
 
 
 
 
Arrosé par 1 500 à 2 000 mm de pluies par an, réparties d’avril à novembre, ce massif tourmenté compte d’innombrables cascades et constitue le berceau de grands fleuves africains ainsi que de nombreuses rivières guinéennes : ses parties centrales et septentrionales drainent les eaux des fleuves Gambie et Sénégal ; sa région orientale draine les affluents du Niger supérieur pendant que la zone occidentale donne naissance aux fleuves côtiers et leurs affluents. 
 
C’est pourquoi cette région est couramment qualifiée de « château d’eau de l’Afrique de l’Ouest ». Pourtant, les aménagements sont rares qui permettent de retenir cette eau venue du ciel, et paradoxalement, la région, surtout au nord, recèle également d’immenses surfaces rocailleuses et sèches une bonne partie de l’année. 
 
Grâce à l’altitude, son climat est clément avec des températures moyennes diurnes variant d’une vingtaine de degrés en décembre à une bonne trentaine de degrés en mars-avril. Les températures nocturnes peuvent frôler le zéro en décembre dans les zones les plus élevées du Fouta. 
 
Le Fouta Djallon est la région la plus peuplée de la République de Guinée, en nombre d’habitants estimés à un peu moins de 1,5 millions en 2000, et en densité de population qui peut atteindre 200 habitants/km2 sur le plateau central, dans les préfectures de Mamou, Dalaba, Pita et Labé. « Djallon » (ou Djalon) provient de « Djalonké », ethnie occupant à l’origine la région de façon très disséminée, avant que les peuls ne viennent massivement la coloniser. 
 
Les Peuls sont aujourd’hui l’ethnie largement majoritaire : jadis éleveurs, ils se sont sédentarisés pour pratiquer à la fois l’élevage et l’agriculture, sans oublier le commerce. Aux Djalonké, s’ajoutent cependant quelques autres minorités ethniques dont les Bassaris et les Koniaguis sur la limite nord du Fouta.  
 
 
Située au cœur du Foutah Djallon, la CRD de Timbi Madina est l'une des 12 CRD de la préfecture de Pita. Elle est située à 30 km au Nord-Ouest du chef lieu de la préfecture en latitude Nord 10° 11' et longitude Ouest 12° 31'. Couvrant la même superficie de 302 km2 que la sous-préfecture, dont le chef lieu, Madina centre, est à 970 m d'altitude, la population de la CRD est estimée à 62 000 habitants, pour 16 135 imposables, une densité de 122 habitants/km2, répartis dans 12 districts, 55 villages et hameaux.  
 
Le climat est un climat tropical tempéré par l'altitude, avec une température qui varie de 20° au maximum et 8° au minimum. La végétation présente les vestiges d'une forêt ancienne.  
L'exploitation intensive des sols par les hommes et leurs troupeaux de bétail, la pratique des feux de brousse ont considérablement contribué à la dégradation de la végétation. La zone est arrosée par 12 cours d'eau dont le principal est la Fétôré qui irrigue les plaines de Timbi.  
 
L'économie est en pleine expansion avec le développement des activités agropastorales, du commerce, de l'artisanat et des petites entreprises. Pour beaucoup d'observateurs, la culture de la pomme de terre comme culture de rentes constitue le moteur de l'économie locale. C'est l'activité dominante des 85e la population. La vie économique a donné naissance à un secteur privé local en plein essor.  
Au plan institutionnel, la CRD est dirigée par un conseil communautaire composé de 22 membres élus. Au plan politique, on note la présence formelle des 4 principaux partis politiques du pays : le Parti de l'Unité et du Progrès (PUP), l'Union pour le Progrès et le Renouveau (UPR), l'Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG) et le Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG).  
 
La population est issue du mélange de plusieurs ethnies dominées par les peulhs qui se sont installés progressivement à partir du 17e siècle, point de départ de la vague d'islamisation du Foutah. La langue dominante est le pular et la population est majoritairement musulmane à 99,60D 
La société peulhe est en général très paternaliste et hiérarchique ; elle est fondée sur les règles patriarcales et le droit de naissance ; les hommes s'occupent des champs, de la clôture des tapades extérieures essentiellement et de l'élevage. Les femmes ont comme activités principales la cuisine, les travaux de mise en culture des tapades. L'habitat dans le Foutah traditionnel est de type dispersé en milieu rural. 
 
La société du FD est une société inégalitaire, profondément marquée par les différences de statuts sociaux et par les obstacles opposés à la mobilité sociale individuelle. 
 
 
 
 
 
ENJEUX FONCIERS SUR LES PLAINES DE TIMBI  
 
Cet article porte sur le foncier et la gestion des ressources naturelles en Guinée, sous un angle anthropologique. En effet, le «paradigme du foncier» est une démarche pertinente pour rendre compte à la fois de la complexité et du devenir des sociétés humaines. Le foncier apparaît dès lors comme un «fait social total» dans le sens de Marcel Mauss, dans la mesure où la terre constitue le support et le moyen de réalisation de l'ensemble des activités des sociétés humaines. C'est dans une telle approche que l'on a voulu restituer la mutation des rapports traditionnels de l'homme à la terre dans la plaine de Timbi-Madina. Ce processus, qualifié de «patrimonial», est particulièrement observable dans cette région de la Guinée. 
 
Le présent article se propose de présenter l'essentiel de la démonstration à travers notamment la problématique et les enjeux de la plaine de Timbi-Madina; les thèses et hypothèses sur cette problématique; la démarche; les résultats des observations et la perspective de sécurisation foncière locale.  
 
Cette étude a pour but de montrer l'intérêt d'une démarche anthropologique portant sur le foncier et la gestion des ressources naturelles en Guinée. Le «paradigme du foncier» rend compte à la fois de la complexité et du devenir des sociétés africaines. Le foncier apparaît dès lors comme un «fait social total» dans le sens de Marcel Mauss, dans la mesure où la terre constitue le support et le moyen de réalisation de l'ensemble des activités humaines. 
 
Par une telle approche, la mutation des rapports traditionnels de l'homme à la terre dans la plaine de Timbi-Madina a été restituée. Ce processus, qualifié de «patrimonial», est observable non seulement dans cette région de la Guinée mais aussi ailleurs en Afrique de l'Ouest. 
 
La plaine de Timbi est située dans la Moyenne Guinée ou Fouta Djallon. Les enjeux de cette plaine sont capitaux tant pour la question de l'aménagement du territoire que pour l'accès des acteurs locaux à ses sols et ressources. Cette plaine, convoitée aujourd'hui par plusieurs acteurs locaux, couvre une superficie totale de plus de 48 000 ha. Elle dépend administrativement de la sous-préfecture de Timbi-Madina (préfecture de Pita), et couvre une superficie de 302 km2. C'est l'une des sous-préfectures les plus peuplée de la Guinée. La population locale est constituée en majorité de Peuls et de Jalonke. La langue couramment parlée est le Pular et la religion dominante est l'islam. 
 
Depuis la loi de décentralisation (1990), la sous-préfecture de Timbi-Madina est organisée en 10 districts et les affaires locales sont gérées par des responsables élus1 (Conseil communautaire) au sein de la Communauté rurale de développement (CRD). Chaque district est animé par un chef de district et subdivisé en secteurs d'une inégale importance. 
 
Les sols de cette plaine, réputés traditionnellement pauvres ou non rentables, sont particulièrement recherchés aujourd'hui par les nouveaux agriculteurs (fonctionnaires, citadins, etc.) ou les producteurs de rente. C'est surtout la culture de la pomme de terre qui symbolise cette mutation patrimoniale. L'intensification de cette production agricole tend actuellement à l'éviction des agriculteurs traditionnels et des éleveurs transhumants. Cette situation entraîne des conflits incessants entre nouveaux agriculteurs et producteurs locaux. L'accès à la terre est devenu un enjeu capital et les autorités locales, notamment la CRD compétente depuis la réforme foncière de 1992, observent ces mutations des rapports fonciers locaux avec très peu de moyens d'intervention. La mutation des rapports fonciers et d'accès aux ressources naturelles se pose donc à la fois en termes de réaménagement des espaces, de sécurisation des rapports individuels à la terre, d'extension agricole, d'urbanisation rurale et de disparition des jachères et des espaces de pâturage.  
 
Cette problématique et les enjeux fonciers locaux ont été reformulés en une seule interrogation. La question à laquelle on a cherché à répondre dans l'étude est la suivante: comment se fait-il que l'espace agricole tende aujourd'hui à l'occupation totale de l'espace pastoral, en remettant en cause le principe traditionnel d'interdépendance et de complémentarité entre l'élevage et l'agriculture dans une région pourtant considérée ou réputée comme pauvre en ressources agricoles mais au contraire propice à l'élevage? 
 
Une démarche théorique et une méthode d'observation directe ont permis de comprendre et de rendre compte de la complexité des rapports fonciers résultant de la superposition de plusieurs processus, de logiques ou de représentations des différentes politiques sur la terre et ses ressources naturelles. D'où la théorie des mutations patrimoniales et la méthode de comparaison. Cette démarche, qu'il n'est pas nécessaire de développer ici2 , soutenait la thèse selon laquelle «les principes traditionnels d'interdépendance et de complémentarité agropastoraux ont été bouleversés par la politique de "mise en valeur coloniale"», reposant sur un système individuel d'attribution et d'exploitation des terres. Pourtant ce processus d'individualisation reste encore «imparfait» dans la mesure où le contrôle lignager est encore vivace dans la circulation des terres et des ressources naturelles. Le foncier, dans cette région de la Guinée, n'est pas seulement une question économique; il est aussi et surtout politique, social, culturel et religieux. Cette thèse est démontrée à partir de deux grandes hypothèses: 
 
Première hypothèse. Le système foncier précolonial dans la plaine de Timbi-Madina est le résultat de plusieurs processus. En effet, dans cette région de la Guinée et à l'état actuel des connaissances scientifiques, quatre grands processus de peuplement et d'occupation des sols ont été identifiés: le passage des Baga et la mise en valeur des bas-fonds dans le plateau central du Fouta Djallon avant l'arrivée des agriculteurs jalonke; l'occupation des sols de plaine par les Jalonke et l'éviction des riziculteurs baga vers les plaines côtières. L'arrivée des pasteurs peuls (Pulli)3 avec le bétail favorisa la cohabitation de l'agriculture et de l'élevage, à la fois sur des sols de bas-fonds et de plaine. Enfin, la conquête du Fouta Djallon par les Peuls musulmans n'a pas remis en cause le système agropastoral (système d'exploitation des sols et d'accès aux ressources naturelles), mais plutôt le système de maîtrise foncière (système de répartition des terres) ou modification des droits fonciers antérieurs. Ainsi, pendant toute cette période précoloniale, on est passé de l'agriculture inondée avec les Baga à l'agriculture de plaine sèche sous le contrôle des Jalonke, avant la mise en place d'un système agropastoral par les Jalonke et les Peuls pulli.  
Seconde hypothèse. L'exploitation agricole occupait une place de choix aux yeux de l'administration coloniale française, par rapport à l'élevage. Il est donc possible de comprendre l'importance de l'agriculture pour les Etats africains, celle-ci devenant ainsi la priorité de leurs politiques de développement. Dans ce processus, l'administration coloniale française ne pouvait concevoir l'exploitation des ressources naturelles sans attribution individuelle des terres: la terre est d'abord attribuée (système d'immatriculation et de titre foncier) avant d'être affectée pour sa mise en valeur agricole, l'attribution justifiant l'exploitation des terres. Cette logique de propriété privée est à la base des réformes foncières coloniales et postcoloniales, de même qu'à l'origine des bouleversements des rapports fonciers locaux. C'est dans ce processus colonial qu'on est passé du système agropastoral à la valorisation de l'agriculture au détriment de l'élevage, remettant donc en cause le principe traditionnel d'interdépendance et de complémentarité de ces deux activités socioéconomiques à la fois sur les sols de plaine et de bas-fonds. Depuis la période coloniale, ce fossé ne cesse de s'élargir, en particulier avec l'introduction et le développement des cultures de rente. C'est le cas aujourd'hui de la pomme de terre dans la plaine de Timbi-Madina. 
 
LA GESTION TRADITIONNELLE DES TERRES 
 
Historiquement, dans le plateau central du Fouta Djallon, les sols de bas-fonds ou dunkire furent considérés comme ceux qui n'auraient pas été mis en valeur avant la période coloniale. Cette thèse méconnaît, implicitement, la mise en valeur de ce type de sol par des populations dont l'occupation est antérieure à l'islamisation du Fouta Djallon.  
 
La mise en valeur des bas-fonds 
Les Baga furent les premiers occupants connus du Fouta Djallon et ils auraient mis en valeur les terres de bas-fonds avant l'arrivée des agriculteurs jalonke et des éleveurs pulli.  
 
Les Baga dans les bas-fonds
Plusieurs indices montrent aujourd'hui que ce peuple est passé par le Fouta Djallon, et qu'il aurait mis en valeur les bas-fonds. Aussi les Baga ne pratiquaient pas l'élevage, en particulier l'élevage bovin, au contraire des Peuls pulli qui les suivirent.  
 
Plusieurs sources (Diallo, 1972 et Niane, 1980), notamment les traditions orales, montrent que les Baga furent l'une des populations occupant le plateau central du Fouta Djallon. C'est dans ce sens que Porteres (1955) montre, à partir de la démarche ethnobotanique du riz flottant du Rio Nunez (plaines côtières), que les Baga, vivant aujourd'hui sur le littoral guinéen, seraient originaires du delta central du Niger. C'est là qu'ils apprirent les techniques de la riziculture inondée. En se fondant sur les traditions orales du littoral guinéen, Porteres confirme l'hypothèse sur le passage des Baga par le plateau central du Fouta Djallon: «Les traditions Sussu et Baga rapportent que ces peuples descendirent à la côte venant du Fouta Djallon dont ils occupèrent les plateaux. Ils auraient même tenu la région de Labé3 .» Nombreux sont les auteurs (notamment Delafosse,1912 et Goerg, 1986) s'accordant sur l'existence de ce groupe ethnique avant l'arrivée des Jalonke au Fouta Djallon. 
 
Les Baga étaient en fait des agriculteurs et ne pratiquaient pas l'élevage bovin. Leur maîtrise de l'eau et de la riziculture inondée5 renforce cette hypothèse. Si, dès lors, les Baga vécurent au Fouta Djallon, ils ne pouvaient vivre qu'à proximité des points d'eau, notamment des bas-fonds. L'existence de nombreux cours d'eau renforce également cette idée, dans la mesure où la culture et la civilisation des Baga sont étroitement liées à l'hydrographie. Un dernier élément d'argumentation est lié à l'arrivée des Peuls musulmans au Fouta; ceux-ci considérèrent les bas-fonds comme des lieux hantés, et les gerbes de riz qu'ils trouvèrent sur place furent considérées comme l'œuvre du diable ou des oiseaux. Loin d'être le fait du diable ou des oiseaux, la présence de gerbes de riz indique les anciennes cultures abandonnées par les Baga dans les bas-fonds du Fouta Djallon, ce qui montre d'un côté que ces bas-fonds étaient aménagés et exploités en riziculture et, de l'autre, que les Baga quittèrent ces bas-fonds par la force militaire des Jalonke en abandonnant leurs terres et cultures. 
 
Les Jalonke et les bas-fonds.  
L'arrivée des Jalonke, après la chute du pouvoir de leur ancêtre dans le Manding vers 1235, aurait provoqué le départ des Baga vers les plaines côtières. Les Jalonke, contrairement aux Baga, ne maîtrisaient pas les techniques de la riziculture inondée. Ces paysans-chasseurs se contentèrent de l'exploitation des terres riches en bordure des Dunkire (Diallo, 1972 et Suret Canale, 1973).  
 
L'idée la plus intéressante, à ce niveau, est que les Jalonke n'exploitaient pas totalement les terres de bas-fonds. Suret Canale (1972) confirme également cette observation: «Dans les vallées encaissées, les bas-fonds plats sont souvent cuirassés; seuls les abords du lit, soumis à inondation périodique, se prêtent à la culture du riz de marais. Mais leur mise en valeur reste limitée aux parties les plus accessibles.» Les agriculteurs jalonke n'étaient pas les seuls à profiter des ressources accessibles des bas-fonds. Les éleveurs pulli y trouvaient des points d'eau et des herbes humides pour le bétail. 
 
Le bétail dans les bas-fonds
 
Les Peuls pasteurs ou Peuls pulli sont arrivés au Fouta Djallon entre le XVe et le XVIe siècles. Il semble que leur ancêtre le plus connu s'appelait Koly Tenguela (Niane, 1980). Ces éleveurs se sont installés très nombreux sur le plateau central avant d'occuper les régions périphériques du Fouta Djallon avec l'arrivée de leurs cousins islamisés, et cohabitèrent pacifiquement avec les agriculteurs jalonke. Pour Diallo (1972), ce type de cohabitation était facilité par la simplicité de leur croyance commune: les Jalonke pratiquaient un animisme idolâtre symbolisé par les arbres, les bosquets, les pierres et la terre, les Peuls pulli, quant à eux, adoraient plutôt la vache, le feu, le soleil et les astres. Les uns avaient le culte des «cultures agraires», les autres le «culte du bétail». 
 
Les éleveurs pulli étaient animistes, comme les agriculteurs jalonke. Pendant la saison sèche, ils conduisaient leurs troupeaux dans les bas-fonds à la recherche de l'eau et du pâturage naturel. Ce qui ne posait aucun problème puisque ces terres n'étaient plus affectées (sauf les bordures) à l'exploitation agricole depuis le départ des riziculteurs baga. Les bas-fonds étaient donc utilisés comme points d'eau par les éleveurs pendant la saison sèche, quand beaucoup de cours d'eau sont asséchés. Seuls les Dunkire conservent des points d'eau servant aux animaux: les récoltes sont déjà faites sur les terres de plaine et les animaux peuvent divaguer librement. Ils buvaient l'eau des bas-fonds et profitaient, en même temps, des résidus des récoltes et des herbes humides des Dunkire. Toutefois, les Peuls musulmans continuaient à redouter ces terres inondées. 
 
La sacralisation des bas-fonds. 
Les Peuls musulmans conquirent le Fouta Djallon entre le XVIIe et le XVIIIe siècles. Ils viendraient du Macina (vallée du fleuve Niger) et du Fouta Toro (vallée du fleuve Sénégal). Ils considérèrent les terres de bas-fonds comme des lieux hantés par le diable. Ils avaient peur de ces terres, estimant qu'elles étaient habitées par les mauvais esprits. Pour Diallo, ces terres inexploitées pendant plusieurs siècles devinrent des forêts galeries (Wondire) ou des terres vierges:  
 
«C'est le vestige sans doute de la grande végétation tropicale, domaine des arbres géants entrelacés de lianes formant un rideau épais de verdure. Nombre de ces forêts n'ont jamais été exploitées6 parce qu'elles conservent le caractère sacré que leur prêtaient les coutumes animistes7 qu'ont respecté les Peuls conquérants. Ceux-ci éprouvent d'autant plus de peine et d'effroi à y cultiver que les infidèles dont c'était des bois sacrés, y avaient enfoui autrefois leurs fétiches et leurs idoles.» 
 
La croyance à ces lieux hantés a persisté pendant très longtemps jusqu'à la période coloniale, notamment dans la plaine de Timbi-Madina. C'est dire que ces terres restaient l'une des rares ressources foncières qui n'avaient pas été appropriées par les Peuls conquérants. Les Dunkire avaient donc un statut communautaire: l'accès était libre pour les agricuteurs jalonke et les éleveurs pulli. Il fallut attendre l'arrivée des colons français pour assister à la désacralisation de ces espaces hantés, c'est-à-dire à leur affectation et à leur attribution individuelle pour leur exploitation agricole. Mais si les bas-fonds n'étaient pas totalement exploités, les terres de plaines, au contraire, étaient toutes mises en valeur. 
 
La gestion des sols de plaine 
En dehors des Baga, les Jalonke furent les anciens maîtres connus du plateau central du Fouta Djallon. Ils occupèrent les terres de plaine et permirent l'installation des éleveurs pulli dans les vallées, mettant ainsi en place un système interconnecté entre l'agriculture et l'élevage ou un système agropastoral. La conquête des Peuls musulmans n'a pas modifié ce système d'occupation des sols et d'exploitation des ressources naturelles mais plutôt leur mode d'appropriation. 
 
Les Jalonke anciens maîtres des plaines. L'occupation des plaines par les Jalonke résulte en effet de leur activité d'agriculteurs et de chasseurs. La mise en valeur agricole de cet espace se traduisait par un usage différencié des sols selon la culture du fonio (fonne) et du riz (maroo). En effet, les sols de plaine de Timbi sont divisés en deux: le sol de ndantari ou sol du fonio et le sol de hollande ou sol du riz. 
 
Le ndantari est l'un des sols les plus caractéristiques de la plaine de Timbi-Madina (Sallinave, 1997). C'est un sol sans cailloux, sans blocs, ni gravillons. Il est très dur en saison sèche et l'eau y coule mieux que sur le hollande. Le fonio est la culture locale qui répond le mieux à ce type de sol et reste la principale céréale traditionnelle cultivée au Fouta Djallon. Cette culture traditionnelle est considérée par les agronomes comme à rendement très faible. Pourtant, elle joue un rôle économique et social très important au Fouta Djallon: elle ne nécessite pas beaucoup de travail et n'est pas trop sensible à la concurrence des adventices. La culture du fonio et sa récolte sont des occasions où se manifeste la solidarité de toutes les classes d'âge. C'est le système dit de Kile: le fonio est utilisé dans les cérémonies et les grandes fêtes. 
 
Le riz est cultivé sur le sol de hollande, second type de sol caractéristique de la plaine de Timbi. C'est un terrain plat sur lequel l'eau coule très mal; de couleur noire, ce sol est très glissant en saison des pluies. Le riz est une céréale appréciée au Fouta Djallon; il est cultivé dans la plaine sèche de Timbi et très exceptionnellement dans le marais ou bas-fonds8 où il est cultivé pendant une année ou deux au maximum. Le riz est plus exigeant en éléments minéraux que le fonio, et est très sensible aux mauvaises herbes. C'est pourquoi sa culture est très souvent associée à celle du mil. Cette association réduit les risques liés à l'irrégularité des pluies et élimine les mauvaises herbes en diminuant le travail de sarclage. La plaine de Timbi était traditionnellement mise en valeur par la culture du fonio et du riz. Les paysans utilisaient plusieurs techniques d'enrichissement des sols et d'exploitation des ressources naturelles, répondant ainsi à la logique du système agropastoral (Lauga Sallenave, 1997). 
 
Les éleveurs dans les plaines et vallées. Les éleveurs pulli furent bien accueillis par les agriculteurs jalonke. Ils s'installèrent plutôt dans les vallées sans concurrence avec les terres principalement destinées à l'usage agricole (Niane, 1980). Ces deux activités se complétèrent et se partagèrent les mêmes terres sans conflit avec un système original d'aménagement de l'espace. 
 
Dans la plaine de Timbi, ces vallées sont situées à Aïdé et à Dampo. Ce mode de vie est attesté aujourd'hui par l'existence des éleveurs kolebé. Ils restent les seuls ou les derniers éleveurs transhumants dans la plaine de Timbi-Madina. Avant la conquête musulmane, ils se trouvaient plus nombreux qu'aujourd'hui sur le plateau central. Un grand nombre d'entre eux se sont installés aujourd'hui dans les régions périphériques du Fouta Djallon, fuyant d'une certaine manière l'autorité et la domination des Peuls musulmans. 
 
La vallée d'Aïdé, en particulier, était considérée comme un espace communautaire et exploité par tous les éleveurs. Elle permettait l'éloignement des troupeaux pendant la saison des cultures dans la plaine. Les Kolebe faisaient alors de la petite transhumance entre la plaine de Timbi-Madina et la vallée d'Aïdé. Ils s'installaient particulièrement dans le village de Sankareya (Aïdé) pendant la saison des pluies et dans le village de Madina Hansare (plaine) pendant la saison sèche. Ce mode de gestion de l'espace facilitait la cohabitation de l'élevage et de l'agriculture sur le plateau central du Fouta Djallon. 
 
Le système agropastoral 
Plusieurs techniques (voir également Lauga Sallenave) de culture permettaient d'éviter les conflits entre agricultures et éleveurs: la fermeture hermétique des sols de culture; le maintien du bétail au piquet sur les jachères; et l'éloignement des animaux durant la saison des cultures. L'analyse sera limitée au système de jachère et de transhumance. 
 
Traditionnellement, la cohabitation entre l'agriculture et l'élevage ne posait pas de problèmes au Fouta Djallon. Le mode de gestion des activités productives (Frechou, 1965) ressortissait simplement de la technique d'aménagement de l'espace. Deux solutions très anciennes ont été imaginées se fondant sur la jachère et la transhumance: 
 
La logique du système de jachère était simple: l'espace était divisé en zone de culture et en zone de pâturage libre. Chaque zone était cultivée alternativement pendant plusieurs années (4 à 6 ans) et laissée en jachère pendant la même durée. Ainsi, durant la saison sèche, le bétail pouvait librement paître dans cette zone. Avec cette technique, la surveillance des animaux était plus facile. Ce mode de partage de l'espace était organisé par toute la communauté (éleveurs/agriculteurs) et l'accès de chaque ressource naturelle était décidé en commun sous la surveillance des différents conseils villageois. Il faut dire que la civilisation de ce peuple de plaine est une civilisation sans police (Ishaga Bah), chaque individu, en respectant les décisions communautaires, assurait spontanément la sienne et celle des autres.  
La transhumance est le mode de gestion le plus ancien et le plus pratiqué par les éleveurs. Ce type d'élevage est très rarement pratiqué aujourd'hui dans le plateau central; il se retrouve plutôt dans les régions périphériques en direction des plaines côtières. C'est dire que la plaine de Timbi est un patrimoine communautaire depuis longtemps partagé entre les agriculteurs jalonke et les éleveurs pulli ou kolebe. Mais la conquête musulmane est venue modifier ce régime communautaire de gestion de l'espace et des ressources. 
La conquête des Peuls musulmans 
La conquête des Peuls musulmans n'a pas remis en cause le système agropastoral mais a modifié considérablement les maîtrises foncières antérieures sur les terres de plaine et des vallées. Les Jalonke et les Pulli ne subirent pas le même sort dans ce processus. 
 
La conquête musulmane fut sanglante, en particulier pour les Jalonke. La plupart des Jalonke furent massacrés9 au cours de la guerre dite sainte. Il devenait donc nécessaire, pour les nouveaux maîtres du pays (Peuls musulmans), de trouver des hommes pour la mise en valeur agricole de cette vaste plaine. D'où la pratique du servage au Fouta Djallon. Nombre de serfs sont des Jalonke survivants, des prisonniers de guerre achetés (Botte, 1992) ou des hommes capturés dans les razzias. Les rares autochtones jalonke devinrent des chefs de terre (Manga) dans le village des anciens captifs ou Runde. Les Pulli, cousins animistes des Peuls islamisés, furent assimilés en leur conférant des droits différents. Ils demeurèrent des hommes libres. C'est dans ce processus que les terres furent partagées entre les conquérants (Timbobhe) et leurs alliés. Ce partage a été effectué au détriment des anciens maîtres du pays (Jalonke) et de leurs hôtes (Pulli).  
 
C'est ainsi que les droits fonciers des Jalonke furent transformés en simples droits d'usage agricole, obligeant ceux-ci à travailler pour leurs maîtres conquérants. Une fonction essentiellement économique laissée aux Jalonke fut celle de l'exploitation des sols de plaine; les Peuls musulmans ne maîtrisant ni le système d'exploitation des sols ni les cycles agraires, ne pouvaient que déléguer leurs droits d'appropriation aux anciens maîtres du pays. C'est ainsi que les Jalonke sont devenus les gardiens-exploitants de la plaine de Timbi.  
 
L'accès des éleveurs pulli fut maintenu dans la plaine de Timbi. Mais cette autorisation dépendait désormais des nouveaux maîtres de cette plaine: les Timbobhe. En effet, après la conquête, la plaine et les vallées restèrent sous le contrôle des Peuls musulmans. La plupart des éleveurs pulli, comme les Dembeleyanke ou les Duhayero, furent assimilés et sédentarisés dans la plaine de Bamikoure et de Laaba. Mais les Kolebe, en raison de leur manque de collaboration, ont perdu leurs droits fonciers dans la plaine et dans les vallées. Ils n'eurent plus qu'un simple droit d'usage des vallées et d'accès aux ressources naturelles de la plaine. 
 
Les droits fonciers antérieurs furent transformés en simples droits d'accès et d'occupation. Les Peuls musulmans restant les seuls maîtres (Leydi Nangaadi) des terres de vallée et de plaine. A la différence des Jalonke, les Pulli ou éleveurs transhumants (Fulbe Burure) sont restés des hommes libres mais d'un statut inférieur parmi les hommes libres. Ils ne peuvent entre autres ni diriger la prière ni exercer le pouvoir politique, d'où la domination de ces deux groupes sous l'Etat théocratique du Fouta Djallon. 
 
La gestion traditionnelle des terres de bas-fonds et de plaine (liées aux vallées10 ) montre bien le passage de la riziculture au système agropastoral11 et d'une gestion communautaire des terres (Jalonke/Pulli) à celle du contrôle lignager12 des terres sous les Peuls musulmans, ces terres ne pouvant faire l'objet que de prêt et très exceptionnellement de don. Ce mode de gestion patrimoniale sera bouleversé par la colonisation française au Fouta Djallon.  
 
L'IMPACT DU SYSTÈME COLONIAL 
Les changements économiques et sociaux instaurés par la colonisation française ont largement contribué à la valorisation des terres par l'exploitation des cultures commerciales ou d'exportation. Sous la pression de l'économie marchande, le partage et la vente du patrimoine foncier lignager sont devenus de plus en plus courants dans une logique en particulier de généralisation des droits de propriété foncière. C'est dans ce processus que l'on observe la valorisation de l'agriculture au détriment de l'élevage, et le passage du patrimoine foncier lignager à un patrimoine de plus en plus familial ou imparfaitement individuel. 
 
La désacralisation des bas-fonds 
Pour l'administration coloniale française, les terres et ressources sont largement disponibles et insuffisamment mises en valeur par les indigènes, d'où les politiques des terres vacantes et sans maîtres et de mise en valeur, notamment agricole. C'est dans ce processus que les terres de bas-fonds ont été aménagées dans une logique du droit de propriété foncière. 
 
De l'appropriation des bas-fonds. L'introduction du régime de la propriété foncière va se traduire, dans le territoire de la Guinée française par plusieurs textes13 juridiques: le décret local du 24 février 1901 portant organisation du domaine public en Guinée française et dépendances; le décret du 24 juillet 1906 portant organisation du régime de la propriété foncière (entendu propriété privée) dans les colonies et territoires relevant du gouvernement général. A partir de là, plusieurs autres textes de modification ou d'adaptation ont été édictés au fur et à mesure de l'implantation coloniale en Guinée. Toutes ces politiques visaient à garantir la mise en valeur des terres par un système d'attribution individuelle et d'affectation agricole. 
 
La mise en valeur des bas-fonds demandait beaucoup d'investissement et les paysans locaux ne pouvaient faire face à ce type d'entreprise. Seule l'administration coloniale avait les moyens de réaliser un aménagement hydroagricole. D'où l'aménagement des bas-fonds de Laafou et l'exploitation de la pomme de terre. 
 
Les bas-fonds de Laafou portent le nom d'un village proche du centre ville de Timbi-Madina. Ils sont localisés sur le territoire lignager des Daoudayabe (groupe allié des Timbobhe). Selon la répartition des terres suite à la conquête musulmane, le bas-fonds, aménagé par l'administration coloniale, était rattaché au territoire villageois des Daoudayabe. Ces Dunkire étaient affectés au pâturage naturel pour les éleveurs locaux. Ce domaine est donc devenu celui de l'administration coloniale par sa mise en valeur agricole. Les Daoudayabe ne pouvaient revendiquer la propriété de ce domaine, car il leur était impossible d'entrer en concurrence avec la puissance publique de l'administration coloniale. 
 
La pomme de terre dans les bas-fonds.  
La pomme de terre a été introduite (Lauga, 1997) à Timbi vers 1920. Cette première expérience coloniale avait donné de bons résultats. Mais la culture de la pomme de terre a été vite négligée et les semences n'étaient plus importées. Malgré cette rupture, les paysans ont continué à cultiver la pomme de terre dans les Tapade14 ou Ganle Suntuure. D'où le développement de l'agriculture de rente sur le plateau central du Fouta Djallon. 
 
La vulgarisation de l'agriculture. Plusieurs techniques ont contribué à la valorisation de l'agriculture et à la modification des rapports fonciers locaux pendant la période coloniale. La première phase de la colonisation consistait en une économie dite de «traite» (Canale, 1971). Ce terme désignait à la fois le commerce littoral fondé sur la traite des esclaves et l'exportation des produits locaux comme le caoutchouc. La chute du cours du latex allait permettre le développement de l'agriculture moderne essentiellement tournée vers l'exportation, notamment l'économie de plantation. C'est par ce processus que l'administration coloniale fournissait des moyens pour encourager les indigènes à s'investir dans les cultures commerciales. D'où l'organisation des foires et concours agricoles, l'introduction de la charrue, la mise en place d'une société indigène de prévoyance et d'un système d'immatriculation foncière élargissant les droits de propriété foncière aux indigènes. 
 
La création des foires agricoles dès 1901 et du premier régime de la propriété foncière (la même année) montre bien l'importance du foncier dans l'entreprise coloniale en Afrique. La foire de l'agriculture était le meilleur moyen de vulgariser les techniques agricoles auprès des indigènes. Il s'agissait de récompenser le meilleur producteur chaque année et de bénéficier de l'appui de l'administration coloniale notamment en recevant de l'argent, du matériel agricole ou du bétail de labour. Le bétail était ici un simple instrument d'accompagnement de la valorisation agricole. Les charrues furent en majorité attribuées aux chefs de canton comme agents de développement agricole. Les petits paysans n'avaient donc pas accès à cet outil moderne d'où le soutien aux paysans par un système de prévoyance et d'immatriculation. C'est ainsi que les sociétés indigènes de prévoyance (SIP) ont été mises en place. La SIP avait pour but de constituer des réserves afin de gérer la famine et de parer aux mauvaises récoltes. Cette forme d'entraide se fondait en particulier sur la solidarité traditionnelle africaine. Il s'agissait d'améliorer les conditions de production, notamment par l'achat des semences ou d'engrais, la diffusion de la culture attelée et le développement de la commercialisation des produits agricoles. 
 
Mais la tutelle administrative n'a pas encouragé le maintien du système de SIP en Guinée (Rivière, 1973). C'est surtout l'accès au crédit agricole pour l'indigène qui posait un problème, dans la mesure où celui-ci dépendait de la détention d'un titre foncier. 
 
Le caractère lourd et coûteux de la procédure d'immatriculation foncière n'encourageait pas les indigènes car elle avait un effet social plus que juridique. Pour un indigène, solliciter une procédure d'immatriculation foncière, c'est soulever la protestation des autres membres de la communauté (lignage, clan, village, famille, etc.) dont les droits peuvent coexister avec ceux du demandeur (Rivière, 1972). 
 
Tenant compte de ces difficultés sociologiques, le gouverneur général institua la procédure dite de «certificat administratif». Il s'agissait d'un procès-verbal détaillé mentionnant les conditions de détention de l'immeuble, notamment le degré d'ancienneté de sa mise en valeur, sa valeur vénale et l'activité du requérant ou d'un tiers exploitant ledit immeuble. Mais la compétence des tribunaux français sur les certificats administratifs a rendu cette procédure simplifiée sans intérêt. C'est dire que le caractère lignager des droits fonciers indigènes n'a pas permis la généralisation de la propriété privée dans les zones rurales, ce qui n'a pas empêché l'appropriation des bas-fonds par les chefs locaux. 
 
Les bas-fonds et les chefs locaux. L'appropriation des bas-fonds par les chefs locaux s'inscrit dans la politique de valorisation des terres par l'intermédiaire de l'administration coloniale. C'est pourquoi la législation de 1901 permettait aux chefs de canton d'immatriculer les terres communautaires ou lignagères sous leurs noms. C'est ainsi que nombre de chefs de canton, parfois de village, sont devenus de grands propriétaires fonciers. Ce processus s'est limité à une appropriation individuelle de fait et n'est pas allé jusqu'à l'immatriculation foncière. Les chefs se sont contentés, du moins dans la plaine de Timbi, d'une simple appropriation physique avec une possibilité d'opposition aux membres du lignage. Il s'agit là d'une remise en cause des droits d'usage et d'accès aux ressources naturelles attachées à ces sols. Seuls, désormais, les chefs pouvaient décider des modalités d'usage de ces sols mais jamais de leur aliénation. C'est pourquoi l'on parle d'individualisation «imparfaite» de ce type d'appropriation: ces terres ne sont pas immatriculées et ne sont pas aliénables par opposition aux terres de plaine.  
 
Colonisation et aliénation foncière 
La plaine de Timbi possède le type de sol qui a subi l'impact de la politique coloniale française, et c'est dans cet espace que le processus d'individualisation des rapports fonciers lignagers est particulièrement observable. La mise en valeur des sols de plaine exige pourtant un investissement considérable en termes de main-d'œuvre et de fertilisation des sols de hollande et de ndantari; cela explique pourquoi le Fouta Djallon manquait largement de cultures commerciales depuis la chute de la production de caoutchouc. Durant la période coloniale, malgré la modernisation de l'agriculture, la région du Fouta Djallon ne pouvait être considérée comme une région agricole, si on la compare à la Basse Guinée où l'économie de plantation était bien développée. Ce déficit économique expliquerait l'appauvrissement des paysans locaux et leur migration vers les régions côtières de la Guinée.  
 
La pression des cultures de rente. 
En dehors du caoutchouc, l'administration coloniale n'a trouvé, au Fouta Djallon, aucune autre culture de rente pouvant justifier un investissement. Le manque d'intérêt économique en ce qui concerne la productivité des sols du Fouta Djallon et l'absence de ressources commerciales rémunérant la force de travail provoquaient la migration de la main-d'œuvre en accentuant la misère des paysans restés sur place. La pomme de terre y était déjà introduite mais n'était pas considérée un produit d'exportation coloniale. 
 
La misère des paysans et éleveurs. 
La perturbation sans changement profond des structures de l'économie traditionnelle avait entraîné l'appauvrissement des populations locales. L'administration coloniale se servait de ces structures traditionnelles pour la perception de l'impôt de capitation et l'exportation des ressources naturelles. C'était un processus dans lequel les paysans subissaient une double exploitation: celle de l'administration et celle des chefs de canton. La crise économique et la famine touchèrent (entre les deux guerres mondiales) toutes les populations locales. Pour payer l'impôt, les paysans vendaient tout ce qui était monnayable, notamment la terre et les bœufs (Suret Canale, 1971). 
 
La vente des terres. 
Le processus colonial a quelque peu modifié les rapports fonciers traditionnels se traduisant par une individualisation de la gestion économique: l'immatriculation foncière; l'importance des limites; et l'accroissement des conflits par le partage des terres et le morcellement des domaines lignagers ou familiaux. 
 
C'est dans ce processus que le patrimoine lignager s'est considérablement morcelé en devenant de plus en plus familial ou individuel. Ce partage était motivé par le besoin d'argent, d'où la vente des terres au Fouta Djallon. La vente des terres à cette époque (Rivière, 1974) ne pouvait être considérée comme une opération économique normale. En effet, la vente des terres (Fréchou, 1965) était en réalité une opération à demi forcée, parce que l'on ne vendait pas la terre pour constituer un capital ou pour investir: on vendait la terre pour payer l'impôt. Une telle aliénation était d'ailleurs très critiquée: celui qui vendait la terre des ancêtres était un maudit. Les populations étaient obligées de vendre, mais les transactions se faisaient exclusivement à l'intérieur d'une même famille. Il était possible, dans cette logique, de prêter la terre à un étranger mais impossible de la céder à titre définitif. Comme il était difficile, pour les éleveurs, de vendre leur bétail. 
 
De la vente du bétail. 
La colonisation française avait d'abord tenté de moderniser l'élevage en l'associant à l'agriculture, d'où l'introduction de la culture attelée et l'expérimentation du système de réserves fourragères. Mais la rationalisation de l'élevage traditionnel par la constitution notamment de parcs à bétail se solda par des échecs. L'échec de l'élevage de ferme était dû principalement à l'application des méthodes européennes à des pratiques traditionnelles encore mal connues des colons. Les mêmes résistances des éleveurs à l'amélioration de leurs pratiques ancestrales empêchaient également le développement de la culture attelée dans le plateau central du Fouta Djallon.  
 
Le bétail était utilisé comme moyen d'accompagnement de la modernisation de l'agriculture. La taxe sur le bétail, imposée par l'administration, poussa les éleveurs à quitter le territoire guinéen pour mettre leur patrimoine bovin à l'abri. C'est également sous la pression de l'impôt et de son acquittement en argent que les éleveurs peuls ont commencé douloureusement à se défaire de leurs animaux. Ce marché du bétail s'est constitué dans les régions de la Basse Côte. Ce processus d'aliénation patrimoniale (terre et bétail) s'est maintenu jusqu'à la fin de la période coloniale. 
 
LA TERRE ET L'ÉTAT EN GUINÉE 
La rupture de la Guinée avec la France, consommée le 28 septembre 1958, entraîna l'indépendance de ce pays le 2 octobre 1958. Cette situation précipita la disparition des chefferies traditionnelles et la suppression du régime foncier colonial en Guinée. Le nouvel Etat guinéen avait mis en place un monopole foncier de l'Etat que la réforme foncière et domaniale de 1992 tente à son tour de remettre en cause. 
 
La terre sous l'ancien régime 
La politique foncière de l'ancien régime en Guinée restera marquée par son caractère politique et idéologique. Le système de parti unique facilita la mise en place du monopole foncier de l'Etat: le pouvoir public est le seul propriétaire de la terre en Guinée. Son affectation, son acquisition et son attribution sont restées sous le contrôle des responsables politiques, sans rupture totale cependant avec les techniques juridiques coloniales. 
 
La terre à celui qui la met en valeur. 
La notion de mise en valeur a été le critère essentiel de la politique foncière du premier Etat guinéen. Il a été l'origine et la justification de toutes les spoliations foncières effectuées sous l'ancien régime. Cette notion de mise en valeur a été définie et précisée dans un décret du 20 janvier 1961 et renforcé par celui du 5 mai 1962. Ce dernier est venu simplement supprimer tous les droits d'occupation sur les terrains non mis en valeur. Cette législation ne considérait, comme mis en valeur, que des terrains avec constructions ou plantés. Cette notion, très restrictive, a favorisé la spoliation des terres villageoises pour la mise en valeur des politiques agricoles socialistes. Selon le même processus, l'Etat reprit les anciens domaines de l'administration coloniale, notamment les bas-fonds aménagés de Laafou. 
 
L'Etat et la pomme de terre à Laafou. Grâce à cette politique, l'Etat guinéen est devenu propriétaire du domaine de Laafou, sur la base de la succession d'Etat à Etat. D'où la relance de la culture de la pomme de terre dans le cadre de la politique des fermes agropastorales d'arrondissement (FAPA). 
 
Cette production collectiviste a obtenu un certain succès sur le plan technique ou agronomique, mais s'est révélée un échec sur le plan économique. Cet échec tenait principalement à la tutelle de l'Etat et au manque de motivation des paysans locaux: le secteur agricole était principalement dominé par l'Etat avec interdiction du commerce privé. L'Etat avait à la fois le monopole du commerce intérieur (export) et extérieur (import). Même le commerce de détail était contrôlé par les organismes publics. C'est dire que le monopole de l'Etat sur les terres, sur la production et sur la commercialisation a largement contribué à l'échec de la production agricole en Guinée, malgré l'existence des terres fertiles comme celles de la plaine de Timbi. Dans cette plaine, l'essentiel de la politique de l'ancien régime a porté sur le soutien aux anciens captifs.  
 
Le soutien aux anciens captifs. 
La plaine de Timbi-Madina, sous l'ancien régime, représentait un enjeu politique où l'Etat concrétisait sa politique d'émancipation des anciens captifs, entamée dès la période coloniale. Ainsi, l'Etat faisait de la notion de mise en valeur son cheval de bataille contre la chefferie traditionnelle. Cette politique a permis aux anciens de se maintenir tranquillement sur les terres occupées. Les propriétaires peuls n'osaient surtout pas revendiquer leurs droits de propriété au risque d'une répression sanglante de la part du pouvoir révolutionnaire local. 
 
C'est au cours de la même période que se développèrent plusieurs stratégies de conservation ou de sécurisation foncière: la mise en valeur «apparente» des terres par la plantation d'arbres; le creusement de fossés afin que les parcelles non valorisées ne tombent sous la main des pouvoirs publics; et la stratégie des cultures «tournantes», permettant à l'ancien maître prêteur de ne pas voir son terrain confisqué par l'ancien serviteur, en tant qu'occupant, en faisant attribuer des prêts tous les deux ans pour la même parcelle. C'est ainsi que les propriétaires se mettaient à l'abri de l'usurpation ou de la spoliation de leurs terres. Il s'agit-là plus d'un soutien politique pour les anciens captifs que d'une véritable réforme foncière avec des garanties en termes de titre de propriété pour l'ancien captif. C'était d'ailleurs une période de forte répression touchant particulièrement les notables et les grandes familles peules. Cette politique de répression généralisée n'épargnait pas non plus les producteurs et ne facilitait pas la libre circulation des produits. 
 
La répression des producteurs. 
L'Etat guinéen imposait aux producteurs des taxes sur les produits agricoles et sur le bétail. Cette politique a fortement handicapé la production agricole et l'élevage en Guinée, dans la mesure où les paysans avaient le sentiment de travailler exclusivement pour l'Etat. Celui-ci rachetait la production à un prix dérisoire qu'il commercialisait dans les magasins d'Etat au nom de la politique socialiste. 
 
Le bétail était également frappé par la même politique. Il s'agissait d'un prélèvement obligatoire sur chaque troupeau et une vente forcée des animaux à l'Etat. Le tarif officiel fixé était inférieur au prix pratiqué sur le marché libre et les éleveurs avaient le sentiment de payer un nouvel impôt (Lauga, 1977). Cette politique, très mal acceptée par les éleveurs, a été une des causes d'une nouvelle migration du bétail vers les pays voisins comme le Sénégal ou la Guinée-Bissau. 
 
Cette politique dite économique, instituée en 1970, avait pour but le contrôle de la commercialisation ou de la circulation des produits agricoles ou du bétail à l'intérieur du territoire guinéen. La police économique s'était spécialisée dans la répression du commerce privé en empêchant toute concurrence à l'Etat dans sa politique socialiste. Cette police a tellement traumatisé les Guinéens qu'elle fut d'ailleurs supprimée le 27 août 1977 suite à la révolte des femmes du marché de Madina. C'est ainsi que le commerce privé est redevenu libre en Guinée. D'où le développement de la production. Cette période correspond à la fin de l'ancien régime et à la mise en place des projets de développement en Guinée. 
 
La terre et les projets de développement 
Le succès de la pomme de terre dans les bas-fonds de Laafou marque en fait le retour de la France dans cette localité. Un retour bien remarqué avec le projet de développement agricole de Timbi-Madina. L'implantation de ce projet (1988) est rendue possible grâce au changement de régime politique en Guinée (1984) et à l'option libérale des nouvelles autorités guinéennes. 
 
La réussite de ce projet est à l'origine aujourd'hui des enjeux fonciers locaux à la fois dans les bas-fonds comme dans les plaines. Cette culture de rente permet aux paysans d'avoir un revenu important dans un contexte de sécurisation des producteurs les plus vulnérables. L'extension de l'espace agricole et le développement de l'urbanisation rurale tendent à l'éviction des agriculteurs traditionnels et à l'occupation totale des parcours pastoraux habituellement utilisés par les éleveurs transhumants. La réforme foncière et domaniale de 1992 ou la loi du 20 juillet 1995 sur le Code rural en Guinée n'apportent pas de solutions pratiques par rapport à la sécurisation foncière des producteurs locaux. 
 
La pomme de terre dans les bas-fonds. 
Le projet de développement agricole (PDA) a commencé en février 1988 dans la sous-préfecture de Timbi-Madina. Les bas-fonds de Laafou, autrefois domaine de l'administration coloniale, ont été affectés par l'Etat guinéen à l'implantation de ce projet agricole, l'objectif étant l'aménagement des périmètres agricoles et l'attribution des terres aux paysans locaux. Un des critères essentiels de sélection des paysans reposait sur la notion d'«investissement humain», le choix se faisant par la participation des paysans aux travaux de canalisation, d'aménagement et leur degré d'engagement dans la gestion des périmètres exploitables. Il s'agissait, par cette stratégie, d'exclure toute personne qui ne serait pas motivée dans l'exploitation directe et personnelle. C'est une façon d'abolir la pratique du servage, le système de prêt ou de la main-d'œuvre salariée. C'est pourquoi le projet prohibait la mise en valeur des parcelles attribuées par l'intermédiaire de tiers. Il s'agissait également de favoriser l'émancipation des femmes par l'accès direct et personnel au foncier. 
 
La pomme de terre, outre sa rentabilité, est une culture dont les conditions de production conviennent particulièrement aux paysans du plateau central du Fouta Djallon. Mais ceux-ci se heurtèrent très rapidement aux problèmes de conservation et de commercialisation de leur production. 
 
Les enjeux de la commercialisation. L'enjeu de la commercialisation de la pomme de terre en Guinée montre bien qu'il ne suffit pas aux paysans de produire mais encore faut-il vendre leur production. Le problème des producteurs guinéens provenait en particulier de l'importation de la pomme de terre de Hollande avec un prix défiant toute concurrence. Cette importation constituait un obstacle important à l'écoulement de la production locale. C'est ainsi que les producteurs locaux ont constitué une fédération des paysans de la Moyenne Guinée. 
 
Cette fédération avait pour objectif l'organisation des groupements de producteurs en vue de faciliter leur accès au marché et au crédit agricole. C'est ainsi que les producteurs guinéens ont posé ce problème de concurrence aux autorités guinéennes. Celles-ci leur accordèrent une mesure dite «temporaire de protection du marché intérieur»: les importations de pommes de terre seront bloquées du 15 février au 1er juin de chaque année. Cette période correspondant aux deux campagnes de pommes de terre dans les bas-fonds et sur les plaines. Ce qui assurait aux producteurs locaux un écoulement facile de leur production en évitant le risque d'un stockage prolongé de ce produit facilement périssable. Pourtant, une telle politique allait à l'encontre du libéralisme économique et du désengagement de l'Etat dans le secteur agricole. Dans cette expérience, l'Etat faisait une entorse à son programme d'ajustement structurel et au principe de libre concurrence. 
 
Aujourd'hui, ce protectionnisme n'est plus justifié. La loi du marché s'imposant, les producteurs locaux sont contraints de répondre à l'offre et à la demande en intensifiant leur production. Cette exigence économique est particulièrement liée au foncier et l'augmentation de la production de la pomme de terre est liée à l'extension agricole sur des surfaces relativement plus importantes que dans les bas-fonds. D'où les enjeux actuels de l'occupation de la plaine de Timbi-Madina. 
 
La pomme de terre dans la plaine. 
Les enjeux fonciers actuels dans la plaine de Timbi-Madina sont à la base à la fois de l'extension de la production de la pomme de terre et de l'urbanisation rurale mettant en cause le système agropastoral traditionnel et accentuant le problème foncier des agriculteurs et des éleveurs traditionnels. 
 
La rentabilité de la production de pommes de terre a en effet attiré d'autres catégories sociales dans l'exploitation agricole. C'est le cas aujourd'hui des notables, ouvriers, fonctionnaires, ingénieurs agronomes, commerçants et d'autres citadins. Depuis 1998, de nombreux conflits fonciers se dessinent entre les nouveaux producteurs (de rente) et les agroéleveurs traditionnels.  
 
L'avenir de l'agriculture traditionnelle 
Dans ce processus, le prêt des terres de culture, selon la pratique traditionnelle, devient de plus en plus rare. Il se transforme plutôt en une stratégie d'enrichissement du sol au profit du propriétaire foncier: celui qui prête son terrain, actuellement, le fait dans le but de le reprendre après deux années d'exploitation. En effet, la pomme de terre, selon les ingénieurs agronomes, ne peut être cultivée dans les deux premières années en raison de la pauvreté du sol de plaine. Comme technique locale d'enrichissement du sol, il faudrait d'abord cultiver le riz ensuite le maïs. Une telle exploitation participe à l'enrichissement du sol et permet ensuite la culture de la pomme de terre. 
 
Une telle stratégie n'est jamais affichée par le propriétaire: il prête la terre en effet sans fixer la durée du prêt et en sachant qu'au bout de deux ans il pourra le reprendre pour cultiver la pomme de terre, plus rentable que le riz ou le maïs. Cette stratégie est souvent utilisée par les propriétaires locaux qui ne disposent pas de moyens suffisants pour investir dans la production de la pomme de terre. C'est dire que la Dime est complètement dépassée aujourd'hui dans la plaine de Timbi-Madina. Les terres prennent une telle importance économique que les propriétaires fonciers s'offrent de nouvelles opportunités financières non sans conflits. 
 
Les nouveaux agriculteurs sont ceux qui s'intéressent à l'achat des terres dans la plaine. En effet, le propriétaire foncier ne pouvant faire déguerpir le paysan non-propriétaire, souvent en raison des prêts très anciens, lui propose le rachat de la terre souvent à un prix exorbitant. L'insolvabilité du paysan devient dès lors le motif essentiel de son éviction. Après quoi, le propriétaire vendra sa terre au plus offrant qui, le plus souvent, sera un agriculteur de fraîche date. Mais la vente des terres n'empêche pas la persistance du contrôle lignager (Diop, juin 2001) dans la mesure où toute transaction foncière met en œuvre des procédures traditionnelles strictement codifiées et communément pratiquées. C'est le Manga, ancien chef des captifs, qui sert, nécessairement, d'intermédiaire entre vendeur et acheteur en raison de sa connaissance des terrains dans la plaine. Ce mécanisme coutumier montre surtout qu'il n'est pas facile pour un étranger de devenir propriétaire foncier dans cette plaine, sauf s'il montre une capacité à jouer sur des relations amicales ou parentales aux niveaux local ou villageois. D'où la théorie d'individualisation «imparfaite» des droits dans le monde rural.  
 
Il va sans dire que les paysans locaux vivent dans une insécurité foncière sans précédent et la réforme foncière de 1992, généralisant la propriété foncière en Guinée, conforte plutôt la position des propriétaires fonciers au détriment des anciens captifs non-propriétaires; ceux-ci perdent leurs droits d'usage à chaque vente de terre. Le système de jachère n'est donc plus opérationnel dans la mesure où les terres de plaine sont cultivées toute l'année. Les droits d'usage sont donc menacés comme ceux des éleveurs transhumants. 
 
 
Les Kolebe restent aujourd'hui les derniers éleveurs transhumants dans la plaine de Timbi. Leur avenir est fortement compromis par les cultures permanentes notamment celles impulsées par les nouveaux agriculteurs à la recherche d'un complément de revenu. C'est la fin des jachères et du pâturage naturel car les éleveurs ne peuvent plus avoir accès aux ressources pastorales dans la plaine de Timbi-Madina. En fait, la convention traditionnelle d'accès aux ressources pastorales entre éleveurs et agriculteurs est remise en cause par le développement de la pomme de terre dans la plaine. Celle-ci devient exclusivement un espace agricole et les Kolebe sont impuissants face à cette situation dans la mesure où ils ne sont pas propriétaires des terres qu'ils occupent à chaque saison sèche. Ce type d'élevage est considéré aujourd'hui comme une activité non rentable et même un obstacle à l'extension de l'agriculture de rente et à l'urbanisation rurale. 
 
La loi portant Code pastoral garantit les droits d'usages pastoraux et le règlement des différends entre les éleveurs et les agriculteurs. Ce texte est d'ailleurs ignoré par les éleveurs dans la plaine de Timbi-Madina. L'urbanisation rurale touche également l'élevage transhumant: les parcours pastoraux des Kolebe (entre plaine et vallée) tendent de plus en plus à être obstrués en raison des constructions immobilières.  
 
Ces mutations affectant actuellement la gestion de la plaine de Timbi-Madina posent donc un problème d'aménagement du territoire et d'affectation des ressources naturelles en fonction de leur exploitation. Les occupations de l'espace se font d'une manière anarchique, renforçant en fait l'insécurité de tous les acteurs et multipliant les conflits. Les revendications, réclamations et contestations des transactions foncières sont devenues pratique courante. Cette plaine représente un enjeu capital pour les populations locales et chaque acteur a besoin d'argent pour vivre.  
 
L'absence de moyens empêche les nouvelles instances décentralisées d'assumer leurs responsabilités locales notamment en matière de sécurisation foncière, dans la mesure où elles sont responsables de la gestion des ressources naturelles, de la préservation de l'équilibre écologique et de l'aménagement du territoire. C'est dire que ni le chef de district ni le président de la communauté rurale de développement ou le secrétaire communautaire ne sont actuellement en mesure de délivrer un titre foncier ni de percevoir des droits de mutation foncière. Ces instances décentralisées n'ont, en outre, aucun pouvoir réel dans l'exercice de leurs charges locales, notamment dans la réalisation d'une politique de sécurisation foncière locale et d'accès aux ressources naturelles. 
 
CONCLUSION 
Notre perspective15 de sécurisation foncière locale tient compte à la fois des droits de différents groupes, de la nature des espaces et des enjeux liés à la gestion des ressources naturelles. Notre observation des problèmes fonciers locaux nous autorise à proposer une forme de sécurisation foncière qui serait mieux adaptée aux réalités des acteurs locaux: la «sécurisation foncière conjointe». Cette proposition s'inspire du droit coutumier local, marqué à la fois par l'interdépendance entre les groupes alliés et la complémentarité entre les différents droits sur le sol. 
 
La plaine de Timbi-Madina reste en effet le symbole et le lieu même des agriculteurs jalonke, des éleveurs pulli et des Peuls musulmans. Toutes ces populations ont aujourd'hui la même histoire, des liens d'alliance et de coopération très forts; elles parlent la même langue, partagent le même territoire et la même croyance. Elles forment en réalité une communauté qui s'ignore. En fait, on a observé que les droits fonciers, d'exploitation des sols ou d'accès aux ressources naturelles, appartiennent à d'autres acteurs mais sont étroitement interdépendants. L'Etat lui-même se place à l'intérieur de ces enjeux car la responsabilité de l'aménagement du territoire et l'affectation des ressources naturelles lui revient. C'est dire que les droits et obligations des uns sont complémentaires. Dans ces conditions, sécuriser les uns revient à insécuriser les autres comme le rappelle Etienne Le Roy. Notre proposition de sécurisation foncière locale tient donc compte des trois situations juridiques principales: la reconnaissance des droits de propriété, la sécurisation des droits d'usage et la responsabilité de l'Etat dans l'aménagement du territoire. 
 
La reconnaissance des droits d'usage 
Les droits d'usage des sols et d'accès aux ressources naturelles devraient être recensés, reconnus et garantis par l'Etat en vue de maintenir les exploitants traditionnels sur le sol et faciliter aux éleveurs l'accès aux ressources pastorales. C'est dans ce contexte particulier que l'idée d'une «convention d'exploitation du sol et d'accès aux ressources naturelles» est apparue (CESAR)16 . Il s'agit d'encourager ou de faciliter l'exploitation des sols par les producteurs non propriétaires du sol tout en garantissant au propriétaire une rente foncière résultant de la valeur économique de l'exploitation. 
 
La garantie des droits de propriété 
Les droits de propriété devraient être constatés, reconnus et garantis par l'Etat grâce à ses services administratifs et pouvoirs politiques locaux. L'exercice des droits de propriété devrait être limité dans certaines de ses prérogatives, comme le faisait d'ailleurs le droit coutumier local. Cette limitation devrait permettre la mise en œuvre d'un droit de préférence ou de priorité17 en faveur de l'exploitant non-propriétaire du sol, lorsqu'en particulier le ou les propriétaires désireront vendre le terrain exploité par le paysan non propriétaire. Un prix raisonnable devrait être fixé selon la localisation du fonds, permettant à l'exploitant de le racheter en évitant son éviction par son insolvabilité liée au prix pratiqué. Dans ces conditions, le propriétaire vendeur et l'acquéreur pourraient bénéficier de la garantie de l'Etat en termes d'immatriculation et de délivrance de titre foncier, dont le coût serait particulièrement allégé pour ceux qui accepteraient d'adhérer à une telle convention (propriétaire, exploitant, Etat) négociée aux niveaux local, régional et national. Il s'agit d'harmoniser le prix du foncier en fonction de sa nature, affectation, destination et de sa localisation. Une telle opération limiterait considérablement la spéculation et l'insécurisation foncières en encourageant, dans le même temps, la généralisation de l'immatriculation foncière et en facilitant la mise en œuvre des plans d'aménagement du territoire. 
 
L'Etat et l'aménagement du territoire 
La mise en place d'une politique de décentralisation18 en Guinée apparaît aujourd'hui comme un cadre idéal pour la sécurisation et la gestion foncière à la fois à l'échelle nationale, régionale et locale. Les droits de l'Etat sur l'aménagement du territoire apparaissent de plus en plus évidents dans ce contexte et nécessitent dès lors la participation concertée des collectivités décentralisées et des communautés villageoises: au niveau national, l'Etat a un rôle d'impulsion et d'appui aux politiques régionales et locales en matières foncières et de gestion des ressources naturelles. Il s'agit, concrètement, de proposer des lois-cadres en la matière, qui encourageraient et consacreraient les «conventions d'exploitation du sol et d'accès aux ressources naturelles», tout en respectant les dispositions fondamentales de la réglementation foncière nationale. L'Etat devrait également affecter des ressources foncières propres à chaque communauté rurale de développement sur ses domaines publics ou privés locaux et renforcer les moyens de gestion et d'intervention de ses services techniques régionaux et locaux.  
 
L'efficacité d'une telle politique de sécurisation foncière et de gestion des ressources naturelles ne pourrait s'inscrire que dans un processus qui réclame du temps et des étapes, en raison de l'existence des problèmes culturels, de la diversité d'intérêts ou des droits qui s'affrontent ou interfèrent sur l'espace rural.  
 
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